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Comment WKF a privé ses salariés français de toute participation aux bénéfices

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25 janvier 2018

Temps de lecture : 5 minutes

Sur fond d’optimisation fiscale, la participation aux bénéfices, un droit pour les salariés remis en cause dans les grands groupes ? L’exemple du groupe Wolters Kluwer France, condamné en appel, et qui s’est pourvu en cassation. L’audience a eu lieu mercredi 24 janvier.

Les salariés et anciens salariés de Wolters Kluwer France (WKF) ne peuvent que souscrire à l’objectif annoncé du gouvernement de renforcer la participation aux bénéfices des salariés. Mais leur expérience démontre qu’il faudra plus que de bonnes intentions pour s’assurer que toutes les entreprises respectent ce principe, en particulier les multinationales.

Rappelons que le groupe Wolters Kluwer est un acteur mondial de l’optimisation fiscale : il détient aux Etats-Unis, dans le Delaware, via sa filiale « Corporation trust », le plus grand cabinet de domiciliation d’entreprises (285 000 sociétés enregistrées dans ce paradis fiscal par WK).

Rappel des faits : en 2007, à la faveur de la fusion de huit entreprises du groupe (Éditions Lamy, Groupe Liaisons, AFL, etc) qui allaient donner naissance à la filiale Wolters Kluwer France, le groupe néerlandais met en place un mécanisme d’emprunt à la maison-mère qui a pour effet d’endetter artificiellement, lourdement et durablement la structure nouvellement créée. Ce montage financier a deux effets : il permet au groupe (19 000 salariés dans le monde, 4,3 milliards de dollars de CA, 22,1 % de taux de profit, 950 millions de bénéfices monde en 2016) d’échapper à l’impôt en France et il prive les salariés français de toute participation aux bénéfices (la formule légale permettant de calculer la réserve annuelle de participation s’appuie en effet sur le bénéfice fiscal).

Il aura fallu près de dix ans de procédure judiciaire, menée par les syndicats CFDT, CGT, CNT, et SNJ, pour que la Cour d’appel de Versailles reconnaisse, en février 2016, les « manœuvres frauduleuses » auxquelles s’est livré Wolters Kluwer France et ordonne de recalculer la réserve spéciale de participation en neutralisant les effets du montage financier et de l’emprunt contracté lors de la fusion (445 millions d’euros tout de même, « prêtés » à un taux d’intérêt supérieur au marché).

Entre temps, nos syndicats ont réclamé chaque année lors des négociations salariales de pouvoir négocier avec la direction une formule dérogatoire de participation afin de rétablir les droits des salariés. La direction de WKF n’a jamais apporté la moindre réponse à ces demandes, refusant obstinément toute solution négociée, même pour sortir du contentieux judiciaire.

Où en est-on désormais ? L’expert judiciaire mandaté par la Cour d’appel de Versailles doit rendre son rapport définitif au printemps 2018. En parallèle, Wolters Kluwer France a formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation. L’audience devant la chambre sociale s’est déroulée le mercredi 24 janvier 2018. Le délibéré sera rendu public le 28 février 2018.

Sa décision est attendue avec le plus grand intérêt par les salariés comme par les juristes et les avocats saisis par des atteintes similaires au droit à la participation dans d’autres entreprises. L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs analyses universitaires, publiées dans les revues de droit du travail.

Le cas Wolters Kluwer pose en effet des questions majeures à l’heure où le gouvernement annonce son intention de relancer la participation et de favoriser le dialogue social au niveau de l’entreprise :

  • Comment « revisiter la belle invention gaulliste » de la participation sans s’attaquer dans le même temps aux schémas d’optimisation fiscale dont sont friandes les multinationales ?
  • Un groupe peut-il par une décision comptable compromettre l’avenir économique de sa propre filiale ?
  • Le code du travail permet-il de sanctionner les manœuvres frauduleuses aux droits essentiels et fondamentaux des salariés, comme l’expliquait Muriel Pénicaud au micro de France Inter le 1er septembre (« Si une entreprise crée des difficultés financières artificielles pour faire des mesures sociales négatives, il y a tout dans le code du travail pour la juger et la condamner ») ?
  • Quel équilibre entre la liberté d’entreprendre et le droit au partage des fruits de la croissance de l’entreprise ?
  • Jusqu’où faire confiance au dialogue social pour trouver des compromis équilibrés dans des entreprises qui n’assument par leur responsabilité sociale envers leurs salariés ?

De fait, depuis la fusion de 2007, l’entreprise éditrice d’ouvrages (notamment sur le droit du travail et les ressources humaines) a non seulement réduit la rémunération de ses salariés en les privant de participation, mais elle a aussi supprimé deux tiers de ses emplois. À coup de plan social (115 emplois supprimés en 2009/2010), de revente de ses activités presse qui se sont traduites par des centaines de départs chez les repreneurs, et de ruptures individuelles plus ou moins conventionnelles, Wolters Kluwer France est passé en dix ans de 1 250 à 450 salariés.

CFDT, UGICT-CGT, CNT, SNJ

À Montreuil, le 25 janvier 2018

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4 réactions

  1. Ancienne salariée de WKF, je ne comprendrais pas que la Cour de cassation casse le jugement de la Cour d’appel. Je suis bien placée pour connaître les dégâts causés par l’état d’avidité des multinationales.

    1. La chambre sociale de la Cour de cassation vient de casser l’arrêt de la Cour d’appel favorable aux salariés(cass.soc; 28 février 2018) . Elle a effet estimé que même en cas de fraude ou d’abus de droit, il n’était pas possible de remettre en cause les attestations délivrées par les commissaires aux comptes. Ce qui est un non-sens puisque l’effet de l’endettement artificiel de la société WKF n’est pas “une erreur dans les comptes” mais bien un choix de gestion, autrement qualifiable d’optimisation fiscale. La Cour de cassation fait mine de ne pas comprendre la situation, ce qui reste étonnant à ce niveau de compétence !

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