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Le numérique, uberisation ou levier d’un management alternatif ?

Rien n’est écrit d’avance

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21 octobre 2017

Temps de lecture : 14 minutes

Le 12 Octobre 2017 se sont déroulées, à Montreuil, les Rencontres d’Options en partenariat avec le magazine Santé et Travail. Le Thème de cette journée : « Le numérique, uberisation ou levier d’un management alternatif ». Organisées autour de deux tables rondes « Management et numérique : quel vécu ? » et « Le numérique et le management autrement », ces Rencontres ont réuni des DRH, des spécialistes du numérique et du management, des sociologues, des enseignants, des syndicalistes.

Dans ses conclusions Marie-José Kotlicki, secrétaire générale l’Ugict-CGT, a fait le point sur les débats et présenté ses axes d’action avec notamment l’ouverture d’un nouveau site.

Il ressort des débats de la journée que les dégâts du Wall Street management, depuis les années 90, deviennent de plus en plus dévastateurs et inquiétants. Erigé en modèle universel, au moment de la financiarisation de l’économie,  il reste  un vecteur au bénéfice de l’actionnaire, réduisant l’entreprise à sa valeur boursière. Son objectif est d’atteindre des hauts taux de profits à très court terme, au moyen d’une batterie d’indicateurs quantitatifs, déconnectés de la réalité du travail et  aujourd’hui rationnalisés par les outils numériques. Il prive le travail de son sens, l’entreprise de sa finalité et provoque une acculturation des métiers, tout en intensifiant la pression sur le prix du travail. Ce qui permet à Marie José Kotlicki qui tient, en préambule, à faire le point sur les situation des cadres, d’affirmer du Wall Street Management : « C’est parce qu’il tue le travail, qu’il tue aussi au travail ».

Pour la Secrétaire générale de l’Ugict-CGT, le Wall Street management, coercitif pour l’ensemble des salariés, assimile les cadres à de simples exécutants, chargés de faire appliquer des directives unilatérales, souvent contraires à leur éthique professionnelle. Ils se retrouvent alors interdits de droit public au désaccord, ou de propositions alternatives, tout en étant de surcroit justiciables dans le cadre de leurs responsabilités sociales.

« Ce Wall Street management suscite de la souffrance au travail, déclare Marie-José Kotlicki, il a profondément détérioré la condition sociale de l’encadrement, percuté sa place, son rôle et conduit à un changement d’état d’esprit durable des ICT ».

Elle constate cependant, en réaction, un renforcement de la conscience salariale. Accompagnant, cette évolution, l’Ugict-CGT a travaillé des propositions pour restaurer le rôle contributif de l’encadrement, gagner de nouveaux droits individuels, garantis collectivement, faire respecter la RTT, encadrer strictement les forfaits jours .  Ainsi l’Ugict-CGT a  récemment gagné le statut de lanceur d’alerte dans la loi Sapin II, l’objectif étant de l’arrimer au droit de refus et de propositions alternatives avec intervention des IRP.

L’Ugict-CGT a donc entrepris un travail de décryptage du Wall Street management et mis en débat une conception alternative qui s’articule sur le progrès social-économique – environnemental, replaçant l’humain au centre, en favorisant la reconnaissance des qualifications et le sens du travail.

Au-delà de ces objectifs, l’Ugict-CGT propose de changer le management en pesant sur ses outils : entretiens d’évaluation, suivi des charges de travail, responsabilisation des actionnaires à travers les « contrats d’éthique productive » en revendiquant des droits nouveaux pour les salariés, afin qu’ils puissent intervenir sur la gestion de l’entreprise. L’Ugict-CGT propose aussi un nouveau statut juridique des entreprises et pour l’ensemble des salariés qualifiés afin qu’ils soient professionnellement engagés et socialement responsables.

Un cadre cohérent et concret au plan micro et macro pour définanciariser le management, le travail, l’entreprise que l’Ugict-CGT a d’ailleurs déjà développé dans 35 propositions.

Et Marie-José Kotlicki d’insister :

« Le management se trouve au cœur de la révolution numérique qu’il va devoir conduire et lui donner du sens ».

Dans son analyse l’Ugict-CGT pointe les écueils de cette évolution. Ainsi, le numérique bouleverse tous les rapports à l’information, au savoir, au pouvoir (GAFA), à l’organisation du travail, du temps. Le temps est, en effet, à l’instantanéité qui favorise la porosité entre vie professionnelle et vie privée, les risques pour la santé, bouscule le rapport à la citoyenneté, la frontière entre les domaines public et privé et facilite la diffusion utilisation des données personnelles, met cause le droit à l’oubli. Le numérique transforme le modèle productif économique.

Il interroge aussi l’ensemble des relations sociales, la conception et le contenu du droit social en même temps qu’il pointe de nouvelles formes de travail et d’emplois impactant les garanties collectives, jusqu’au financement de l’ensemble de notre système social

Cette révolution numérique trace donc les pistes d’une transformation de la société de tout le système social et ces profonds changements du travail, du management, les impacts sur les conditions sociales des travailleurs, vont en constituer le socle.

La secrétaire générale insiste sur le fait que : « Contrairement aux révolutions industrielles précédentes, qui se sont déroulées sur un siècle, celle-ci se réalisera en deux ou trois décennies. Il n’y a pas de temps à perdre pour en appréhender ces enjeux et ne pas laisser libres le marché et les logiques financières. Rien n’est écrit d’avance et on s’organise pour peser sur le sens de ces transformations. »

Il ressort des échanges de la journée que le numérique soulève plusieurs contradictions au sein même des logiques du Wall Street management et qu’il requestionne la définition même et le rôle du manager.

L’Ugict-CGT a déjà analysé cette perspective et souligne d’une part, que les logiques managériales vont à l’encontre du développement de la culture du numérique : que ce soit le culte de la concurrence et de la performance individuelle ; d’autre part, que les pratiques du « lean management », abordé au cours de la deuxième table ronde, sont en porte-à-faux en favorisant la chasse au temps. Car paradoxalement, le numérique qui s’inscrit dans l’instantanéité, requiert du temps, temps pour le travail collaboratif, pour recréer des synergies dans l’entreprise et du temps pour se connecter, échanger et mutualiser les pratiques. En outre, la profusion du reporting au détriment de l’activité de recherche, de réflexion d’innovation, sont et ont été négatives pour le dynamisme de l’entreprise.

Enfin, le management axé, sur une baisse du prix du travail, va à contresens, d’une élévation générale des qualifications, sauf à réaliser du dumping social.

Une pratique qui conduit à raccourcir les lignes hiérarchiques et réduire l’encadrement intermédiaire, alors que le numérique suppose de renforcer le management de proximité.

« Ces contradictions nourrissent le débat pour changer de paradigme, rompre avec les logiques du Wall Street management, passer du vertical au transversal, redonner aux salariés la maîtrise de leur travail, de leur temps de travail pour favoriser leur autonomie, leur esprit critique. Il faut développer un management collaboratif et reconstruire le collectif de travail en rupture avec la concurrence individuelle » affirme Marie Jo Kotlicki.

Autre paramètre à prendre en compte et pas souvent évoqué : l’encadrement de proximité va se trouver de plus en plus fréquemment face à des injonctions contradictoires : objectifs de temps contraignants à respecter, résultats chiffrés à obtenir, rentabilité financière, méritocratie individuelle à appliquer. En complète contradiction avec , le nécessaire temps libre pour se déconnecter, mutualiser des expériences, le droit à l’erreur dans l’innovation, le développement de l’autonomie et de la volonté de dire son mot, donc droit au désaccord, la reconstruction des synergies et des collectifs de travail.

Il faut donc réaffirmer dans l’arbitrage son rôle contributif, l’exercice de sa responsabilité sociale qui se pose avec une intensité accrue avec le développement de l’utilisation des outils du numérique.

S’il doit animer et favoriser le travail collaboratif, il doit gagner aussi en légitimité au sein même du collectif de travail et donc aider à solutionner des problèmes de travail en mettant sa propre expertise au service des salariés.

Les analyses de l’Ugict démontrent sans ambiguïtés que le développement des outils numériques peut conduire à une intensification du travail, accroître la durée de connexion, percuter l’équilibre des temps de vie dans et hors du travail et mettre en cause sa propre responsabilité sociale en tant que garant de la santé des travailleurs par délégation de l’employeur. L’exercice de la responsabilité sociale du manager se pose avec plus d’acuité.

Mais : « On ne pourra pas revisiter et transformer le management, le rôle et la définition du manager, sans se préoccuper des moyens, des marges de manœuvre qui leur sont octroyés pour exercer leur mission », constate le secrétaire générale dans ses conclusions. Le débat de la journée a illustré l’ambivalence du numérique. »

Car si le numérique peut permettre répondre à l’aspiration de consommer et produire autrement, il peut aussi déboucher sur un contrôle accru des salariés par les employeurs à travers la géolocalisation et l’utilisation des données privées.

En outre, les technologies de l’information et de communication peuvent favoriser une simplification et un enrichissement du travail par l’accès à l’information, la mutualisation et le développement des échanges, ou tayloriser le travail qualifié par la multiplication du reporting, des procédures et des logiciels dont le contenu borne et limite la créativité et l’autonomie des salariés.

Les outils numériques peuvent conduire à une maîtrise du travail et une liberté de son organisation, ou, au contraire, à une intensification du travail, une invasion de la vie privée jusqu’au burn-out.

Impossible d’ignorer, non plus, la robotisation qui peut provoquer aussi une hémorragie des emplois dans certains secteurs professionnels, y compris des emplois qualifiés ou bien à travers une redistribution des gains de productivité, financer des formations aux nouveaux métiers, une formation tout au long de la vie, une montée en gamme des qualifications et une nouvelle RTT pour préserver le taux d’emplois.

Le numérique peut donc générer une plus grande autonomie et citoyenneté, ou, à travers la suppression du lien de subordination au profit du lien de dépendance économique, des travailleurs, dits « indépendants » avec une généralisation de la précarité des qualifications, de l’accès à la protection sociale et d’un dumping social ciblant le salariat.

« Rien n’est donc écrit d’avance »

assure Marie José Kotlicki, tout dépendra du renforcement et de la construction de droits et garanties collectives accompagnant l’intervention sur le contenu et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.

A l’ère du numérique et de ses ambivalences et des risques de développement de l’épuisement professionnel, la modernité du syndicalisme est de redonner du pouvoir d’agir aux ICTAM afin qu’ils puissent peser sur la transformation du numérique, maîtriser leur travail et les outils du numérique.

Sa modernité réside dans l’analyse le décryptage des risques réels du numérique, de mener les combats nécessaires contre l’instrumentalisation du numérique par le Wall Street Management.

« C’est surtout, au cœur des contradictions soulevées par les logiques du Wall Street Management, que nous devons ouvrir des perspectives, des alternatives possibles et atteignables, faire en sorte que rien ne soit écrit d’avance à partir de propositions que nous voulons débattre et co-construire avec les salariés.

Notre syndicalisme c’est aussi le syndicalisme des solutions concrètes et directes sur le vécu des salariés pour transformer les rapports sociaux et transformer la société pour aller dans le sens du progrès social économique et environnemental » conclut Marie-José Kotlicki.

 

***

Les propositions de l’Ugict-CGT

« L’Ugict-CGT ouvre son site « construire le management autrement »

  • Intervenir sur le travail. L’Ugict-CGT porte l’ouverture de négociations sur le droit à la déconnexion, une véritable réduction du temps de travail, une nouvelle conception de la loyauté par rapport à son éthique professionnelle, du travail bien fait envisagé par rapport au droit de refus, arrimé au statut de lanceur d’alerte.L’Ugict-CGT demande la mise en place des commissions où siègent les organisations syndicales, dans lesquelles les salariés pourront suivre les gains de productivité du numérique et où ils pourront débattre de leur redistribution. C’est déjà le cas à Orange où, avec toutes les autres organisations syndicales, l’Ugict a obtenu la mise en place d’un comité national des gains de productivités.
  • Intervenir sur un rééquilibrage des pouvoirs de l’entreprise. L’Ugict-CGT travaille avec des universitaires à partir de ce qui existe déjà aux USA, en Angleterre, en Espagne et plus récemment en Italie. L’Ugict-CGT propose de construire une loi portant sur un nouveau statut de l’entreprise qui la distingue de la société de capitaux. Ainsi, en reconnaissant l’entreprise comme une communauté créatrice de valeur, et un statut du dirigeant d’entreprise distinct de celui de l’actionnaire, celui-ci regagnera des marges de manœuvre, pour porter des projets à moyen et long terme. Le renforcement des droits des salariés dans l’entreprise par exemple à travers leur représentation dans les conseils d’administrations devrait asseoir le rôle contributif de l’encadrement.Enfin, la responsabilisation des actionnaires, à travers des « contrats d’éthique productive », permettrait d’encourager une mobilisation des capitaux pour le moyen et long terme. Dans ces contrats la voix des actionnaires serait liée ou modulée en fonction de leur durée d’engagement. C’est ce qui a permis à plusieurs petites sociétés de la Silicon Valley de résister aux attaques des logiques financières.

 

  • Développer des outils pour aider les équipes syndicales à négocier les transformations du numérique.
    L’Ugict-CGT a ouvert un site avec le label « construire le numérique autrement ». L’objectif est double.
    Le premier : permettre aux salariés d’être acteurs de la transformation du numérique et changer le management et le travail.
    Le deuxième est de pouvoirs croiser l’ensemble des réflexions, par l’intermédiaire de la plateforme Syndicoop, des propositions, des expériences des autres organisations de la CGT sur le numérique, de confronter et de s’aider mutuellement pour construire le numérique autrement.
    Ce site abritera aussi 16 fiches thématiques sur le numérique et le travail sur 4 axes : organisations du travail, le temps de travail et le droit à la déconnexion, le management et l’information ainsi que le droit d’expression.
    Le site comporte aussi une consultation auprès des ingénieurs cadres et techniciens sur les 24 propositions de l’Ugict-CGT pour transformer le numérique
    Seront présents aussi 300 témoignages sur le numérique et le travail issus d’entretiens menés conjointement avec l’Anact.
    Sur ce site sont rassemblés toute une série d’outils pour aider à la négociation comme le Guide du droit à la déconnexion ou les Forfaits jours ainsi que d’autres guides disponible en novembre 2017 (managers de proximité et guide RH)

 

 

 

 

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1 réaction

  1. Le rééquilibrage des pouvoirs dans l’entreprise doit être fondé sur la contribution des acteurs (société des actionnaires et collectif de travail) aux ressources de l’entreprise: en moyenne en France, 1/3 de représentants de la SA au conseil d’entreprise, organe dirigeant de l’entreprise, et 2/3 de représentants du CT.

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