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35 propositions pour une nouvelle définition de l’entreprise et du management

L’enjeu principal ? Mettre les richesses créées au service du progrès économique, social et environnemental.

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29 juin 2017

Temps de lecture : 15 minutes

Depuis près de 40 ans, le Code du travail et son coût sont présentés comme les principaux responsables du chômage. De la suppression de l’autorisation administrative de licenciement consentie en 1986 à Yvon Gattaz en échange d’une promesse de 471 000 emplois, aux 40 milliards du pacte de responsabilité accordés à son fils au prétexte de la création de 1 million d’emplois, en passant par les loi Fillon, Rebsamen et El Khomri, les réformes remettant en cause les droits des salarié-es et allégeant les cotisations fiscales et sociales des entreprises ont été nombreuses.

Les créations d’emploi beaucoup moins, et la France atteint le niveau record de 6 millions de chômeurs.

Lors des échéances électorales, les Françaises et Français ont exprimé leur volonté d’un profond renouvellement. Des visages, des partis, mais aussi des solutions. L’ampleur de l’abstention démontre une situation explosive et un fossé sans précédent entre la représentation politique et le monde du travail. Ce ne sont pas les vieilles lunes du MEDEF qui permettront de répondre au défi de l’emploi, à la question environnementale et aux attentes exprimées mais des solutions nouvelles pour s’attaquer à ce qui bloque notre économie : la finance.

Le casse du siècle

Une distribution record de dividendes et 63 000 faillites d’entreprises en France en 2015, ces deux chiffres trop rarement rapprochés diagnostiquent l’asphyxie de notre économie par le coût du capital des multinationales. La captation des richesses créées se fait au détriment de l’investissement – empêchant la modernisation de notre appareil productif – mais aussi des salaires, provoquant ainsi une contraction de la consommation et de la demande intérieure.

75 % des cadres disent ne pas être associés aux choix stratégiques, et 55 % d’entre eux expliquent que régulièrement les choix et pratiques de leur entreprise entrent en contradiction avec leur éthique professionnelle.

La financiarisation de l’entreprise et la perte de sens du travail conduisent à une démobilisation de l’encadrement. Inadapté à l’éclatement des entreprises en de multiples sociétés, le droit actuel permet aux véritables décideurs d’échapper à leurs responsabilités comme à la fiscalité. Les groupes multinationaux exercent un chantage à l’emploi sur les PME sous-traitantes comme sur les États, menaçant de délocalisation si les salaires, la fiscalité ou les droits des salariés ne sont pas abaissés.

Pour sortir – enfin ! – de la crise,  il est possible d’inverser totalement ce processus et de mettre les richesses créées au service du progrès économique, social et environnemental.

Il est en effet possible de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, et notamment de construire le numérique autrement en empêchant la captation des richesses par les GAFA, tout en ayant un modèle de production et de consommation soutenable à long terme, et respectueux des ressources environnementales.  Aussi, il n’y a pas besoin d’une loi travail version XXL et adoptée par ordonnances sous injonction du Medef, mais de nouvelles solutions comme la réduction du temps de travail, un nouveau statut du travail salarié ou une sécurité sociale professionnelle.

Faire de l’entreprise un bien commun

La logique financière prévaut dans la gouvernance de l’entreprise aux dépens de ses finalités. L’entreprise est mal appréhendée par le droit :  le droit commercial ne connait que la société de capitaux, dont la finalité légale est d’abord la réalisation d’un profit au bénéfice de ses actionnaires, alors que le droit du travail limite pour l’essentiel la responsabilité limite la responsabilité envers les salariés à l’employeur en titre. Cette carence juridique déséquilibre le système de pouvoir au sein de l’entreprise. Elle permet d’assimiler les dirigeants à de simples mandataires des actionnaires et de les intéresser notamment au rendement du capital par un système de rémunération utilisant des stock-options et des actions gratuites.

C’est le statut même des entreprises que nous devons interroger et faire évoluer, pour mettre en place une nouvelle définition juridique de l’entreprise, comme collectif humain créateur de richesses et d’innovation dans un contexte de mutualisation et de solidarité.

  • 1/ Reconnaître que la mission de l’entreprise est une mission de création collective, de production d’un bien ou d’un service utile à la société, en modifiant la définition de la société figurant dans le code civil et en autorisant la création de société à objet social étendu. L’objet social étendu devra faire l’objet d’un contrôle par un comité approprié au sein de l’entreprise comprenant des membres, externes ou internes, désignés par les salariés.
  • 2/ Reconnaître en droit un statut au chef d’entreprise, distinct du simple mandataire désigné par les actionnaires.
  • 3/Reconnaître que l’entreprise représente une communauté de travail en renforçant les droits des salariés à intervenir sur les choix de gestion quotidiens de l’entreprise.
  • 4/ Instituer une règle de solidarité, faire assumer par exemple aux actionnaires de contrôle les coûts sociaux de court et long terme résultant des choix de gestion qu’ils ont déterminé.
  • 5/ Lutter contre le court-termisme boursier en autorisant la création d’actions à droits de vote multiple dans les sociétés cotées, comme cela se pratique en Europe du Nord, et des fondations d’actionnaires, comme cela se pratique aux Pays Bas, avec une représentation des salarié-es dans la fondation
  • 6/ Le législateur doit aussi tirer les leçons de la dérégulation des années 80, qui est un des facteurs essentiels de la crise de 2008, et interdire les montages opaques diluant la responsabilité et permettant de s’exonérer de l’impôt. Les rachats d’actions doivent être strictement encadrés et faire l’objet d’une consultation du CE. Les achats d’entreprises par effet de levier (LBO) et les montages financiers permettant de transférer la valeur dans des paradis fiscaux doivent être combattus notamment par l’adoption d’une fiscalité dissuasive.

 

Donner aux salarié-es des droits d’intervention sur les orientations stratégiques des entreprises

Renforcer la négociation au niveau de l’entreprise rend nécessaire l’extension des droits des salariés pour leur permettre d’intervenir sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Il faut que les salarié-es soient mieux représentés dans les instances de gouvernance de l’entreprise :

  • 7/ Dans les conseils d’administration, l’entrée récente des salarié-es doit être confortée pour leur permettre de représenter immédiatement un tiers des membres et à terme la moitié du conseil dans les entreprises privées. Dans les entreprises détenues par l’Etat et les établissements publics, les salarié-es doivent détenir un tiers des droits de vote, la société civile et de l’État occupant les 2/3 restant.
  • 8/ La présence obligatoire d’un administrateur salarié dans chaque comité du conseil (rémunérations, stratégique, audit…)
  • 9/ Mettre en place la transparence et le contrôle sur les critères de rémunération des cadres dirigeants devant les salarié-es avec une présentation et un avis du CE.

Ces règles doivent s’appliquer selon un principe d’universalité à toutes les entreprises quel que soit leur forme sociale (comme à l’étranger) 
 

Instaurer de nouveaux droits pour les IRP et l’encadrement

Il s’agit de renforcer le rôle des salariés et de restaurer le rôle contributif de l’encadrement, de façon à faire primer l’avis de celles et ceux qui défendent les intérêts de l’entreprise à moyen et long terme.

  • 10/ La mise en place d’un droit de refus, d’alerte et de propositions alternatives Limitée à un devoir de loyauté aux directives financières, la responsabilité professionnelle doit être réhabilitée et adossée à l’intérêt général. Le niveau de qualification de l’encadrement, obtenu grâce à un effort et un financement collectif de la société, confère des responsabilités, qui se traduisent notamment d’un point de vue salarial, mais aussi  en termes de « droits et devoirs » vis-à-vis de la collectivité et de l’intérêt général. L’enjeu est de créer un droit de refus, d’alerte et de propositions alternatives pour faire primer l’éthique professionnelle au quotidien. Une commission issue du CE doit permettre une régulation collective des questions liées au plein exercice du professionnalisme.
  • 11/ Le renforcement du statut de lanceurs d’alerte créé par la loi Sapin 2 par l’inscription dans un cadre collectif avec la possibilité de transmettre les alertes à une commission spécialisée du CE, aux DS et à défaut au DP.
  • 12/ Permettre aux Comités d’Entreprise de disposer de droits d’informations renforcés et élargis et des moyens supplémentaires, leur permettant de connaître la situation et la stratégie des investisseurs, y compris leur endettement et la situation de l’ensemble de la chaîne de production à laquelle ils sont intégrés, du groupe donneur d’ordre, aux filiales et sous-traitants.
  • 13/ Les Comités d’Entreprises doivent disposer de droits décisionnels sur la stratégie d’entreprise. Celui de contrôler l’usage des aides publiques et de saisir une instance qui pourrait les suspendre lorsqu’elles ne bénéficient ni à la recherche, ni à l’investissement, ni à l’emploi. De même, les Comités d’entreprise doivent disposer d’un droit suspensif sur les licenciements économiques, permettant à la justice de vérifier la réalité du motif économique et aux salarié-es de proposer des alternatives.
  • 14/ Réformer en profondeur les tribunaux de commerce pour garantir une prise de décision faisant primer les intérêts de long terme.

Faire vivre la démocratie au travail

La négociation collective au niveau interprofessionnel, sectoriel et local est indispensable pour faire vivre une véritable démocratie sociale et permettre une amélioration de la situation des salarié-es. C’est particulièrement vrai pour les ingénieur-es, cadres et technicien-nes, qui, au prétexte de responsabilité professionnelle, se voient imposer un devoir de loyauté leur niant toute liberté d’expression. Le renforcement des IRP et de la négociation doivent être les outils d’une réappropriation du sens et du contenu de leur travail.

Mettre la négociation au service du progrès social et environnemental

Les RH, chargé-es du pilotage du dialogue social dans l’entreprise sont déboussolés par la multiplication des réformes, sans cohérence ni évaluation. Le rôle de garants du respect du droit des RH est évacué au profit de logiques financières et de rentabilité. Pour sécuriser la négociation collective, il convient de la faire reposer sur des principes clairs, simples et lisibles

  • 15/ Rétablir le principe de faveur et de la hiérarchie des normes
  • 16/ Généraliser l’accord majoritaire à 50% dans les branches et au niveau interprofessionnel
  • 16/ Renforcer le rôle et la place des organisations syndicales pour disposer d’interlocuteurs fiables et représentatifs : la négociation collective doit demeurer un monopole des organisations syndicales
  • 17/ Rééquilibrer la négociation et la rendre plus loyale avec de nouvelles règles de négociation : des moyens égaux, l’élaboration d’une feuille de route à partir des textes syndicaux et patronaux, des présidences de séances syndicales et patronales, la mise à disposition par l’Etat de lieux neutres de négociations pour les négociations interprofessionnelles
  • 18/ Rendre effectives les obligations de négocier. Les acteurs sociaux doivent être incités à conclure des accords et les aides publiques doivent être conditionnées à la signature d’accords
  • 19/ Renforcer la Base de Données Economiques et Sociales qui doit être mise à disposition au format numérique et papier, accessible en permanence pour les IRP et associée à une analyse des données. Les amendes doivent être renforcées et accélérées en cas de défaut de transmission de l’information aux IRP ou aux experts
  • 20/ Renforcer considérablement les effectifs des DIRRECTE. Alors que les effectifs ont baissé de 20 % depuis 2009, il convient d’adopter un plan pluriannuel de recrutements pour doubler le nombre d’inspecteurs et d’inspectrices du travail
  • 21/ Positionner les RH comme garants du respect du droit dans l’entreprise et leur donner les droits et moyens afférents

Des droits au service de la liberté d’expression et de l’engagement syndical

Le premier obstacle à l’engagement syndical, notamment chez les cadres, c’est la crainte de la discrimination syndicale et du sacrifice de la carrière professionnelle. Les droits syndicaux, en plus d’être insuffisants, ne sont pas adaptés à des salarié-es en responsabilité professionnelle. Enfin, le droit interprofessionnel étant inexistant, le maintien du contrat de travail tout en ayant des responsabilités syndicales interprofessionnelles dépend de la négociation au cas par cas avec l’employeur, ce qui force les ingénieurs cadres et techniciens à choisir entre leur engagement syndical interprofessionnel ou leur carrière professionnelle.

  • 23/ Assurer le droit pour tous les salarié-es à une heure mensuelle d’information syndicale, organisée sur le temps de travail sans perte de salaire
  • 24/ Mettre en place d’un indicateur dans le bilan social permettant de mesurer les discriminations syndicales, sexistes ou racistes sur les carrières
  • 25/ Mettre en place de mesures pour lutter contre les discriminations à l’embauche (registre d’embauche permettant de comparer les candidatures reçues et les recrutements effectué-es, notification des droits distribuées aux salarié-es lors des entretiens d’embauche, testings)
  • 26/ Mettre en place une formation de sensibilisation aux discriminations à l’embauche et dans les carrières (sur la base d’un contenu défini par l’État) pour tous les RH et recruteurs des entreprises de plus de 50 salarié-es
  • 27/ Renforcer l’action de groupe, pour permettre aux salarié-es victimes d’une même discrimination d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice
  • 28/ Augmenter le crédit d’heure des élu-es du personnel et des délégué-es syndicaux, et la déclinaison légale sous forme de « crédits jours » pour salarié-es en forfait jours. Obliger l’employeur à diminuer la charge de travail des élu-es et à les remplacer de façon à ce que leurs heures de délégations soient effectives
  • 29/ Faciliter l’accès des femmes aux mandats (horaires de réunions, prise en charge par l’employeur des frais de garde en cas de déplacements ou dépassements horaires des élu-es, mesures pour les salariées à temps partiel…)
  • 30/ Autoriser les militants syndicaux extérieurs à prendre contact avec les salariés d’une entreprise ou d’un site pendant le temps et sur le lieu de travail si aucune organisation syndicale n’est présente
  • 31/ Créer du droit syndical interprofessionnel, permettant le détachement de militant-es tout en maintenant leur contrat de travail. Le renforcement du fond de financement du paritarisme doit permettre la compensation des salaires auprès des entreprises.
  • 32/ Reconnaître l’expérience acquise par les mandats syndicaux en mettant en place une VAE Syndicale reposant sur une évaluation indépendante de l’employeur. A l’issue de cette VAES, le ou la militant-e doit avoir droit à une réintégration tenant compte des nouvelles compétences et qualifications acquises.

Un droit à la représentation de proximité pour tous et toutes

Les entreprises de moins de 50 salarié-es sont souvent dépourvues d’implantation syndicale, d’IRP, comme de RH.

  • 33/ Mettre en place, au niveau territorial, une instance de représentation pour tous les salarié-es des entreprises de moins de 50 salarié-es dans lesquelles il n’y a pas eu d’élu-e au 1ertour des élections de délégué-es du personnel

Pour revaloriser le management de proximité, il convient de renforcer son rôle et ses possibilités de faire entendre et respecter les exigences du terrain. Pour cela, l’appui sur des IRP organisées en proximité, et notamment les DP et CHSCT est indispensable.

  • 34/ La notion d’établissement qui détermine le déclenchement des instances CE, DP et CHSCT doit être calée sur le collectif de travail pour généraliser les instances de proximité

Les CHSCT jouent un rôle déterminant dans la prévention santé et sécurité au quotidien en entreprise, leurs missions doivent être encore renforcées.

  • 35/ Le renforcement des missions des CHSCT (avec notamment l’évaluation du temps et de la charge de travail des salarié-es par catégorie socio professionnelle, avec une vigilance particulière pour les salarié-es au forfait jour) et l’élargissement de leurs missions aux problématiques environnementales avec un droit d’alerte environnemental

 

À noter : ces propositions sont issues d’un document adressé par l’Ugict-CGT à tous les parlementaires lors de l’installation des députés nouvellement élus, et à l’occasion d’une mobilisation nationale contre la casse du Code du travail, le 27 juin 2017. Ces réflexions sont notamment issues de rencontres organisées par le Journal Options « Comment définanciariser l’entreprise« , et synthétisées dans une tribune parue sur LeMonde.fr et signée par une quarantaine de personnalités universitaires ou acteurs du monde de l’entreprise sous l’intitulé : « Pour une nouvelle définition de l’entreprise, comme collectif humain créateur de richesses« 

 

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