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Sophie Binet : « La théorie du ruissellement est un cache-sexe bien commode ! »

Tribune sur Mediapart dans le cadre de l’enquête “À la Caisse des dépôts, la République misogyne”

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30 novembre 2017

Temps de lecture : 6 minutes

Le gouvernement vient d’annoncer la composition de la commission de surveillance de la caisse des dépôts et consignations. 13 hommes sur…13. Étonnant quand ce même gouvernement porte comme mantra de l’égalité F/H la féminisation des instances de direction et des conseils d’administration. La loi Copé-Zimmermann impose en effet depuis 2011 la féminisation des conseils d’administration, et la secrétaire d’État en charge de l’égalité femmes/hommes a annoncé un “name and shame”, convoquant les entreprises du CAC40 qui n’ont pas atteint les objectifs fixés. Il faudra donc convoquer le président de la République…

Encore un exemple de l’écart entre les discours et les actes.

Pour cocasse que soit cette affaire, elle illustre les impasses des politiques publiques en matière d’égalité femmes-hommes. Composées d’une série de dispositions législatives adoptées sous la pression des féministes et des syndicalistes, c’est maintenant un poncif d’entendre dire que l’“arsenal” législatif est complet et qu’il faudrait désormais travailler sur les mentalités. Cette affaire démontre justement en quoi la loi n’a rien d’un “arsenal” puisque la quasi-totalité des obligations en matière d’égalité femmes/hommes ne sont assorties d’aucune sanction.

Cette tribune a été publiée par Mediapart, dans le cadre de l’enquête À la Caisse des dépôts, la République misogyne

Pour avancer, il faudrait donc tout simplement mettre en place des sanctions dissuasives, pour les employeurs qui ne respectent pas l’égalité salariale, leurs obligations de prévention en matière de violences ou de parité de leurs instances. L’égalité femmes/hommes ne se suffit pas de “bonnes pratiques” ou de discours, elle a besoin de la loi. De l’effectivité de la loi existante, certes, mais également d’une loi étoffée qui intègre des sanctions dissuasives. Premier désaccord avec la politique d’Emmanuel Macron.

Ensuite, ce focus sur la féminisation des conseils d’administration, des postes dirigeants, de l’entreprenariat au féminin… oublie la majorité des femmes, scotchées au “plancher collant”. Une femme a déjà été patronne des patrons, sans que la situation des femmes salariées s’en trouve améliorée.

C’est d’ailleurs cette femme patronne qui, au moment de la lutte contre le CPE, avait cette formule inoubliable :

L’amour est précaire, la vie est précaire, tout est précaire.

Et cela alors que le premier fléau dont souffrent les femmes est la précarité : elles sont 30 % à occuper des emplois à temps partiel (contre 6 % des hommes), 11 % des CDD (contre 7 % pour les hommes), représentent 60 % des salarié.es rémunéré.es au Smic horaire et sont souvent bien en dessous du Smic mensuel.

Cette précarité a un impact sur les inégalités dans le couple. Comment quitter son conjoint violent quand on n’a pas les moyens d’assurer son indépendance économique ? Comment inciter les pères à prendre un congé parental quand c’est très majoritairement les mères qui gagnent moins ? Focaliser les politiques publiques sur l’égalité “par le haut”, au prétexte d’un “effet de ruissellement” qui n’existe pas dans les faits, occulte les rapports de classe.

La grande avancée des trois dernières décennies est l’élévation du niveau de qualification des femmes, désormais plus nombreuses que les hommes à être diplômées de l’enseignement supérieur. La féminisation de l’encadrement progresse régulièrement, mais elle est loin de régler comme par magie l’ensemble des inégalités. C’est entre les femmes et les hommes cadres que les inégalités salariales sont les plus criantes, notamment du fait de la part variable de la rémunération.

Les femmes cadres, malgré leurs diplômes, se heurtent au “plafond de mère” (comme l’a montré l’UGICT-CGT dans la campagne « #VieDeMère, avoir une carrière c’est toute une histoire », voir le site dédié : vdmere.fr), leur(s) grossesse(s) et maternité provoquant un blocage dans leur carrière, tout simplement parce qu’en France, responsabilité professionnelle est toujours synonyme de disponibilité sans limite. C’est ce que la CGT des Cadres et Tech, l’UGICT-CGT dénonce depuis septembre 2016 avec sa campagne “Vie De Mère”. Et le problème, c’est que la seule réponse à ces inégalités est une “politique Corporate”, avec les réseaux femmes développés dans la majorité des grandes entreprises, reposant sur le coaching et l’accompagnement individuel.

En somme, pour avoir l’égalité, il suffirait de la demander et de savoir se vendre. Celles – la majorité – qui continueront à être discriminées, n’auront à s’en prendre qu’à elles-mêmes. C’est sûr que c’est plus simple que de remettre en cause le modèle de la responsabilité professionnelle, de réduire le temps de travail des cadres, de développer une évaluation et un management reposant sur le collectif de travail ou de mettre fin à l’arbitraire patronal en matière de rémunération.

De l’autre côté, les ouvrières et les employées sont les grandes oubliées des politiques publiques.

Qui parle des temps partiels aujourd’hui ? Des salaires à peine au-dessus des minima sociaux avec une amplitude horaire démentielle ? Qui s’indigne de la généralisation en cours du travail de nuit et le dimanche dans le commerce alors qu’il fragilise considérablement les femmes qui effectuent toujours la majorité des tâches ménagères et représentent plus de 80 % des familles monoparentales ? N’y a-t-il pas une contradiction à fustiger les parents “démissionnaires” tout en organisant leur absence du foyer en les forçant à travailler le soir, le week-end ? Qui parle des conditions de travail dans les emplois à prédominance féminine ? Qui s’insurge contre la situation faite aux assistantes maternelles, qui, contrairement aux normes internationales, n’ont même pas droit au salaire minimum ni à la réglementation sur le temps de travail ? Rendre effective l’égalité femmes-hommes nécessite de travailler sur l’ensemble de la chaîne.

`D’une certaine manière, les “premières de cordée” peuvent être envisagées comme des rôles-modèles pour des jeunes filles et jeunes (et moins jeunes) femmes et montrer ainsi que l’on peut être une femme tout en occupant des postes de première responsabilité. Mais sans politique publique tournée vers la totalité des femmes, cette focalisation sur les femmes dirigeantes aura pour principale conséquence de renforcer les inégalités. Celles qui n’accéderont pas aux responsabilités de premier plan ne pourront s’en prendre qu’à elles-mêmes dans ces conditions : elles seront seules tenues pour responsables.

Après tout, chacun.e pour soi et la loi pour les moins mal loti.e.s !

par Sophie Binet, membre de la direction confédérale de la CGT en charge de l’égalité femmes-hommes, et secrétaire générale adjointe de l’UGICT-CGT

 

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2 réactions

  1. on peut conclure que quand la réalité dément le discours, c’est la réalité qui a tort. c’est la conclusion des économistes atterrés sur macron dans leur analyse du PLF et PLFSS 2018, je trouve que cet adage se prête bien au double discours très bien analysé et combattu par Sophie Binet.

  2. ca fera bientôt 10 ans que je parcours les couloirs du TGI de Paris (sections juges aux Affaires Familiales) car je quémande la RPE (Résidence partagée Equilibrée). Sur 17 juges, 17 femmes qui en quelques minutes décident du reste de votre vie (97% des JAF en France sont des femmes).
    j’ai assisté avec d’autres pères le 7 décembre au débat à l’AN sur la RPE : toute la gauche et les républicains ont dit NIET à l’égalité. Seule une députée de l’Isère a dit oui : les pères qui désirent s’investir davantage sont à considérer…
    Conclusion : l’égalité oui, mais, il faut être du bon côté.

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