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Thales : enjeux éthiques et industriels de la diversification civile

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7 janvier 2019

Temps de lecture : 6 minutes

Passer d’une industrie porteuse de mort à une industrie qui répond aux besoins de la population est un défi 
que la coordination CGT de Thales cherche à relever depuis plusieurs années.

Tandis que des voix s’élèvent contre les ventes d’armes à des régimes en guerre, comme l’Arabie saoudite qui bombarde au Yémen, la troisième place de notre pays au palmarès des vendeurs d’armement pose des questions éthiques et politiques et interpelle le syndicalisme. La CGT du groupe Thales milite pour que le groupe d’électronique se diversifie dans les applications civiles et dépende moins des ventes d’armes, tout en développant des emplois de qualité. Elle propose la création et le financement d’une branche des industries de la santé et la construction d’une filière française d’imagerie médicale avec le groupe Thales comme acteur fédérateur. Une branche qui a bien failli voir le jour à la suite d’une lutte menée par la CGT en 2011 et 2012 pour mettre en échec la cession, par Thales, de ses activités d’imagerie médicale implantées près de Grenoble (Isère). Ce qui était alors en jeu, c’était la fin de la souveraineté de la France dans le domaine de l’imagerie puisque ces deux sites contigus sur le site isérois fabriquent des composants (tubes et détecteurs) employés par la plupart des fabricants mondiaux de systèmes d’imagerie médicale. La cession de cette activité était une aberration, alors que l’imagerie est devenue la pierre angulaire du diagnostic médical. La mobilisation avait alors permis non seulement le maintien des deux sites spécialisés dans l’imagerie médicale, mais aussi l’engagement de l’ancien PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy, à soutenir l’activité du site et la diversification dans les activités à forte valeur technologique du marché de la santé. Ceci en exploitant les technologies militaires dans des applications civiles. « C’est dans la dynamique de ce conflit pour sauver les sites grenoblois qu’est née notre réflexion sur cette filière. Les salariés ont participé à l’élaboration de nos propositions et ils ont trouvé de l’intérêt à cette démarche syndicale qui articule opposition à la casse de l’emploi et propositions industrielles », explique Laurent Trombini, co-animateur de la coordination CGT de Thales.

Soutien de la communauté scientifique

Pour mener ce combat, la CGT a créé un site Internet et un bulletin d’information (Imagerie d’avenir, disponible sur le site) afin de présenter ses propositions, pour ouvrir le débat en interne comme en externe. « En faisant ainsi, nous avons fait converger notre savoir-faire et nos compétences en recherche et en production avec les besoins de ces professions du médical et de la recherche. Nous avons eu des réactions très intéressées de chirurgiens, de directeurs d’hôpitaux et de chercheurs du CNRS. Nous avons rendu nos propositions visibles et elles sont prises très au sérieux, affirme Laurent Trombini. C’est ce qui fait leur force et leur pertinence. »

Un marché prometteur

Ainsi, dans le bulletin Imagerie d’avenir de février 2017, on apprend que la biophotonique (imagerie optique utilisant les rayons visibles, ultra-violets, infrarouges), discipline émergente depuis le début des années 2000, permet des avancées dans les sciences de la vie, la santé humaine, la santé animale, l’environnement, l’agro­alimentaire et la biométrie. Problème : si la France (cinquième acteur mondial dans l’innovation médicale) a vu émerger ces dernières années de nombreuses start-up dans ce domaine, il manque « un opérateur national d’envergure, proche des laboratoires académiques et ayant des capacités d’intégration rapide et concurrentielle des systèmes mis au point pour les commercialiser » , estimaient Cédric Matthews et Laurent Héliot, chercheurs au CNRS, dans une contribution parue dans Imagerie­ d’avenir de février 2017. Et on ne parle pas de niche confidentielle, mais bien d’un marché industriel potentiel estimé « à quelques dizaines de milliards d’euros avec une croissance supérieure à 10 % par an sur les vingt dernières années » . Et pour les dix ans à venir, ces chiffres pourraient être multipliés par six. Les deux chercheurs évoquent « l’existence d’un large marché de 63 milliards de dollars » . Pour Laurent Trombini et ses camarades, « Thales pourrait être le fédérateur de cette industrie de l’imagerie médicale en y investissant quelque 300 millions d’euros. Le groupe en a largement la capacité puisqu’il vient d’investir 4,8 milliards d’euros dans la reprise du fabricant de cartes à puces, Gemalto » .

Paroles d’ingénieurs de Thales

Un écho très favorable parmi nos collègues
« En ce qui concerne mon domaine, je préférerais mille fois utiliser mes compétences, par exemple sur la sécurisation et la transmission des données numériques de santé, plutôt que sur des applications militaires. Et je ne suis pas le seul. Nos propositions de diversification vers le médical reçoivent un écho très favorable parmi nos collègues. On l’a encore mesuré récemment, lorsque j’ai posté sous étiquette CGT, sur l’intranet de l’entreprise, une contribution à une enquête de la direction pour connaître les propositions des salariés. J’ai été surpris de recevoir de nombreux retours positifs de salariés, qui se sont positionnés publiquement sur l’intranet en approuvant nos propositions et en validant notre démarche. Ils nous ont dit qu’ils trouvaient intéressant que la CGT se positionne sur des projets de diversification. Et certains, qui travaillent sur du militaire, nous ont même dit qu’ils avaient eux-mêmes fait des propositions de diversification et que la direction les avaient écartées au motif que les priorités d’investissement et de compétences devaient rester au militaire. On est clairement confrontés à un blocage politique que nos collègues ressentent encore comme un horizon indépassable. »
Grégory Levandowski, ingénieur de conception électronique en communication sécurisée, coordination CGT du groupe Thales

 

 

Diversifier pour préserver les emplois
« Sur les deux sites de Thales à Moirans (Isère), la diversification vers le médical est un enjeu vital. Depuis que nous avons empêché la cession de Trixell et de Thales Electron Devices, les salariés se posent constamment la question de leur avenir. L’une des deux entités travaille sur des technologies d’imagerie analogique qui commencent à être dépassées par l’imagerie numérique, bien plus performante. L’enjeu, c’est de garder un niveau de recherche et développement élevé et qu’on ne rate pas les prochaines marches technologiques afin de préserver nos activités sur la région grenobloise. Les choses seraient évidemment tout autres si Thales devenait le pivot d’une filière industrielle médicale française. Pour l’instant, la CGT est écoutée, surtout depuis que nous avons animé le conflit pour sauver nos boîtes, mais il ne faut pas se cacher qu’il est difficile de créer un rapport de force pour faire déboucher nos propositions de diversification. « 
Franck Perrin, ingénieur en recherche et développement sur le matériel médical chez Trixell, filiale de Thales

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2 réactions

  1. C’est avec des propositions industrielles ( approuvées par une très large partie des salariés, cadres compris et même quelques cadres de direction) balayées dans un premier temps par les dirigeants de notre boite que nous l’avons sauvée. Ces propositions ont ensuite été reprises pour la plus part part la direction du groupe et ont permises le sauvetage de la bôite de plusieurs centaines d’emplois. Cette boîte s’appelllait alors Imphy alloys.

  2. super! De beaux projets qu’il faudra suivre avec le plus
    d’attentions possible.
    Et le développement du laser CAN? Nous on le rêve toujours pour la neutralisation de déchets nucléaire.

    Plein de courage pour 2019 à toutes et tous!

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