Disparition des grandes unités de production ; apparition de nouveaux métiers ; création de nouveaux modèles économiques, de plateformes privilégiant l’emploi de micro-entrepreneurs, de travailleurs isolés ; réticence ou même méfiance des plus jeunes envers les organisations syndicales traditionnelles… Les syndicats réfléchissent sur leurs structures et leurs pratiques. Pendant qu’ils s’interrogent, les « nouveaux travailleurs » s’organisent. Les syndicats aussi sont-ils en voie d’uberisation ? titre même le magazine Uzbek et Rica. Il y a urgence.
Il est grand temps de se poser la question. Depuis une dizaine d’années, cette petite musique accompagne toutes les réflexions sur les actions syndicales. Chacun s’accorde à dire qu’il y a urgence à construire d’autres pratiques, plus mobilisatrices, plus modernes, plus adaptées aux technologies actuelles, notamment en direction des jeunes. La tâche semble ardue car les syndicats peinent parfois à évoluer et jusqu’à présent, la « disruption » attendue n’a pas eu lieu, si tant qu’elle soit voulue, possible, ou même souhaitable.
Toujours est-il que les habitudes culturelles des jeunes ont évolué. Ils pratiquent un engagement zapping plus tournés vers le monde associatif ou les collectifs qui se constituent à l’occasion de luttes locales. « Les jeunes ne sont pas moins engagés que leurs aînés, ils le sont différemment » répète le sociologue Michel Vakaloulis à ceux qui déplorent « l’apathie des jeunes salariés ».
Une enquête récente du Conseil national d’évaluation du système scolaire citée par le Monde du 9 septembre 2018 (Les jeunes préfèrent le bénévolat à la politique), confirme ce constat : « l’engagement dans des partis politiques ou des syndicats n’a plus leur faveur depuis longtemps. Ils s’intéressent néanmoins à la vie civique. Mais les jeunes s’engagent malgré tout, différemment. 44 % d’entre eux sont engagés ou se sont engagés par le passé dans des associations humanitaires ou de défense de l’environnement, et 75 % déclarent souhaiter s’engager à l’âge adulte. Mais les lycéens annoncent d’emblée qu’ils choisiront des actions ponctuelles, et non affiliées à une organisation politique. La volonté de s’engager dans un syndicat ne concerne par exemple que 33 % des lycéens »
Les centrales syndicales remises en cause
Comme le déclare un des fondateurs du collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap) à l’excellent magazine Usbek &Rica, via la plume de Fabien Benoît, : « Si un type de la CGT arrive dans la rue avec sa chasuble et son drapeau, les mecs s’enfuient » même s’il concède que l’aide de la CGT et de Sud ont été déterminant dans la construction du CLAP. Fabien Benoit, auteur de l’article, décline des arguments qui devraient faire réfléchir les syndicats : « Nous voulions faire quelque chose de nouveau, de moins idéologisé, confirme Hadrien, 25 ans, livreur et membre du Clap. Nous ne voulions pas nous enfermer dans une marque, nous ne voulions pas avoir de comptes à rendre à une centrale syndicale. L’enjeu principal, pour nous, c’était surtout de faire en sorte que les gens agissent collectivement et non chacun dans son coin. Le tout en restant libres.
C’est une conception de l’action qui a changé confirme constate Jean-Baptiste Malet, qui a enquêté sur les conditions de travail chez Amazon C’est culturel, les gens veulent plus d’horizontalité. Les outils numériques changent la façon dont on peut organiser des luttes et des collectifs.
Et Fabien Benoît d’enfoncer le clou : « Si les syndicats ne saisissent pas les enjeux posés par la numérisation du travail, d’autres types d’organisations vont se créer et prendre le relais. Et ce seront elles qui dessineront l’avenir du syndicalisme »
Le travail d’un collectif comme le Clap annonce-t-il une nouvelle façon de défendre le droit des travailleurs ? Surtout des travailleurs indépendants ? La question posée est la suivante : « l’auto-organisation est-elle en mesure de prendre le relais des syndicats ? ». En Italie, aux USA, en Allemagne les lignes bougent. En Allemagne, les militants ont remplacé les tracts par des balles en mousse et des œufs en plastique à la sortie d’un entrepôt d’Amazon Les salariés devaient ensuite les mettre dans des paniers en plastique sur lesquels figurait un pictogramme représentant une problématique de travail : une horloge pour le temps de travail, un smiley qui fait la tête, etc. Ces petites initiatives ouvrent des brèches pour faire passer un message.
Créer de nouvelles pratiques
En France, les syndicats sont dans le doute : « Nous sommes moins rapides à évoluer que le capitalisme ». Amazon organise un turn-over rapide à l’intérieur des équipes pour éviter que des liens se créent entre les gens. Chez Delivroo les livreurs sont autoentrepreneurs et il est difficile de mobiliser les gens. Tesla licencie des salariés qui tentent de se syndiquer. L’historien Dominique Andolfo (cité par Fabien Benoît) fait un constat sévère : « « les syndicats sont tournés vers l’économie du passé, vers l’industrie traditionnelle et la fonction publique. […] ils sont profondément passéistes. Je comprends qu’on ne veuille pas les attendre et qu’on tente de créer de nouvelles choses. »
Les structures socio techniques syndicales sont-elles réellement obsolètes ? Comment mobiliser les micro-travailleurs ? Les syndicats jouent-ils réellement leur survie ?
Par JLJ